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26/01/2014

12 Years a Slave : un séjour en Enfer.

Je sors du cinéma le cœur lourd, les yeux rougis, la gorge nouée et l’esprit révolté. Il y avait bien longtemps qu’un film ne m’avait pas émue de la sorte. Émue au point de ne plus avoir la force de pleurer et de sentir bouillir la rage en moi. Douze ans d’esclavage, douze années en Enfer dont Steve McQueen ne nous épargne pas l’atrocité, l’indicible barbarie de l’homme sous nos yeux étalée. La véridicité de cette histoire—celle de Solomon Northup, un Noir libre kidnappé puis vendu comme esclave— ajoute au bouleversement et à l’indignation. Je me souviens avoir lu le chapitre d’un livre où l’auteur y citait Northup. A l’époque, je n’avais pas connaissance de son histoire, mais ses propos m’ont marquée. Il disait que son violon lui était précieux, car la musique lui permettait de s’évader ailleurs, une distraction transitoire mais une forme de survie. La scène où Solomon détruit son violon m’a tout de suite rappelé cette lecture. Ce geste est symbolique, une forme d’abandon presque. Ce sont ses espoirs brisés et partis en fumée lorsqu’il brûle la lettre qu’il avait écrit.

12 Years a Slave est l’un de ces films nécessaires comme Amistad. Il ne ménage pas la sensibilité des spectateurs, mais ébranle, oblige à regarder en face une réalité que les livres d’histoires ont trop longtemps tu. Cette absence de concessions était impérative, elle décuple l’impact du film. Dès la capture de Solomon Northup, le ton nous est donné. La violence et la cruauté extrême rythmeront la vie de Northup et de ses compagnons d’infortune. Les familles sont séparées, les femmes violées, les hommes mutilés, pendus, fouettés et ils portent des masques de fer. Lors de l’insoutenable scène où Patsey (Lupita Nyong'o) est fouettée, des passages de Beloved me sont revenus en tête. Après la lecture de Beloved, on ne peut ressortir indemne, et il en va de même pour 12 Years a Slave.

 

 

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Quelques mois après Le Majordome et Fruitvale Station, 12 Years a Slave signe une nouvelle avancée dans le paysage cinématographique hollywoodien que le très fantaisiste Django se prétendait d’entamer— Jesse Williams acteur dans Grey's Anatomy tallait bien un costard au film ici. Je me réjouis que les films de Lee Daniels, Ryan Coogler et celui de Steve McQueen aient vu le jour à une heure où une partie de l’Amérique et le monde entier découvre avec ébahissement l’existence du racisme institutionnalisé. S’il est important de souligner le progrès qu’apportent ces films, il ne faut pas se reposer là-dessus, car la marche est encore longue. Qu’advient-il du film sur Toussaint L’Ouverture et pour lequel Danny Glover cherche des fonds depuis des années ? Qu’en est-il du biopic sur Martin Luther King .Jr ? Le jour où Hollywood osera aborder plus souvent le racisme sous l’une de ses formes les plus pernicieuses comme l’ont fait Collision (2004) et Fruitvale Station. Le jour où l’on portera sur grand écran l’histoire des Scottsboro Boys, d’Emmett Till, le combat d'Ida B. Wells, de WEB DuBois, de Walter White, et où l’on parlera de l’incarcération en masse des Afro-américains dans les prisons. Le jour où une femme Noire réalisera un film sur Harriet Ann Jacobs ou Harriet Tubman. Le jour où il y aura davantage de Steve McQueen, de Lee Daniels, de Tyler Perry et de leurs homologues féminins. Ce jour-là, ça sera une victoire. Mes espérances sont peut-être idéalistes, mais après la sortie de ces longs-métrages que « l’effet Obama » aurait rendu possible, on est en droit d’en demander plus, de vouloir que d’autres films suivent cette voie documentaire, éveillent les consciences et la mémoire collective. Malheureusement, il reste à la France un long chemin à parcourir dans ce sens. C’est triste à dire, mais je ne peux citer que deux films français sur l’esclavage: 1802, l'épopée guadeloupéenne (2006) de Christian Lara et Case Départ (2011). Une fresque historique à petit budget et une comédie, voilà tout ! Un financement médiocre et des français réduits à rire de l’esclavage. Cela en dit long sur le retard du cinéma français mais surtout celui de notre société et du discours politique. Il a fallu attendre 2001 avec le passage de la Loi Taubira pour que l’esclavage soit reconnu comme un crime contre l’humanité, et ce n’est que depuis 2006 que la Journée commémorative du souvenir de l'esclavage et de son abolition existe en France. En attendant que le septième art français ne comble ses grosses lacunes, je ne peux que vous encourager à aller voir 12 Years a Slave, un film essentiel qui vous prend aux tripes. 

 


21:01 Publié dans Film | Lien permanent | Commentaires (0)

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